— Je suis ce qui se fait de pire en ce moment.
Il se contenta d’acquiescer. Assis sur l’unique chaise de la pièce, voûté
et rigide. Il ne voyait pas la lumière qui inondait l’espace, depuis la lucarne
du plafond.
— Qu’en penses-tu ? Un seul c’est suffisant, non ?
Il acquiesça à nouveau. Il n’avait jamais su lui tenir tête. Il ne
pouvait s’empêcher de penser qu’il avait raison. Sa logique était au-delà. Il
leva la tête, comme pour méditer ses paroles. Comment pouvait-il tolérer sa
présence ? La lumière faiblit un instant, un nuage sans doute. Aucune
importance, il les aimait bien, surtout au soir lorsqu’ils se teintaient de
pourpre sous les rayons du soleil déclinant.
Il repensa à sa première phrase. Le mot « pire » lui posait
tout de même un problème. Pourquoi avait-il choisis ce mot ? Il n’y avait
pourtant rien d’ignoble, de méchant. D’évidence, la rhétorique lui importait
plus que le sens véritable de ses paroles. Abject lui semblait maintenant plus
approprié. Mais il lui vint soudain à l’esprit que pour lui, le sens véritable
du mot ne signifiait justement rien. Combien de fois l’avait-il entendu pester
contre le sens restreint des mots? Il saisit sur l’instant que par
« pire », il n’avait fait qu’induire une réaction émotionnelle
spécifique, selon le contexte spécifique de ses schémas mentaux, réaction qu’il
maîtrisait parfaitement. Donc évidemment, il n’avait pas besoin que pour lui,
« pire » revête un sens particulier.
Seul le processus lui importait.
— On devrait peut-être s’arrêter là. Je ne suis pas sur qu’ils aient envie
de continuer à endurer le non-sens apparent de cet amas informe.
Il tâcha de
l’oublier. Il n’a pas besoin de lui, ou plutôt quand il n’a pas besoin de lui il
a besoin qu’il ne soit pas là !
— Voilà le problème. Un seul suffit, et depuis le début. Mais
Lequel ? Le choix doit être opéré. Sinon, cesse sur l’instant.
Il releva les yeux de son clavier. Oui, il fallait maintenant choisir. Sur
le coup, il regretta de l’avoir invectivé de la sorte. Il relu rapidement tout
ce qu’il avait tapé jusque là, puis termina sa phrase. Et en commença une
deuxième, qu’il songea laisser en suspens, avant de la terminer malgré tout, parce qu’il ne faisait qu’écrire
ce qu’il était lui-même en train de faire. Tout de même, on se demande s’il y a
là un intérêt. Il écrivit alors qu’il (enfin, celui du début, qui est assis),
qu’il, donc, se levait et allait se placer sous la lucarne, et que lorsqu’il
fut juste en dessous, il ouvrit les yeux.
Ou plutôt non, il s’aperçu qu’il avait les yeux ouverts. Et alors, il
vit que la pièce était emplie de lumière, comme je l’ai écrit au début : «
Il ne voyait pas la lumière qui inondait l’espace, depuis la lucarne du
plafond. ». A partir de là, n’importe quoi pourrait sembler une suite.
Disons que tu vas le retenir, l’appeler. Il est faible devant toi, il ne peut
que te suivre. Dis lui de se retourner et de te regarder.
— Ne veux-tu point me regarder ? Je t’ai dis que j’étais ce
qu’il y a de pire, et toi tu acquiesces, alors que tu refuses de me voir ?
Retourne-toi, contemple-moi, toi qui vois maintenant la lumière, et dis-moi
lequel tu seras.
Alors il se retourna. Il savait qu’il avait raison, mais il savait aussi
qu’il ne pourrait faire un choix. Alors il le regarda en face. Il le regarda,
le détailla. Ce n’était que du vide. Et alors qu’il le contemplait, il
comprit :
— Je serais toi.
Et il mourut.